Pendant près d’un siècle les marques cherchaient leur unicité autour de leur communication corporate (leurs valeurs, leur vision, leur mission, leur ambition) et de leur communication produit ou service. Les marques essayaient d’attirer les consommateurs en parlant de leur positionnement (le contrat confiance Darty), leurs slogans (« Just do it »), leurs innovations (Dyson), leurs ambassadeurs (Afflelou, Clooney), leur produit (Nutella). En somme, les marques pendant un siècle concentraient leur désir de marque sur elles-mêmes. Aux consommateurs d’adhérer ou non… Et pour gagner cette adhésion, la publicité média a été le bras armé de ces stratégies.
Au début, il y a la loi
Depuis une dizaine d’années, face à la saturation des médias et en réponse à cette course effrénée des marques pour attirer l’attention, de nouveaux territoires de communication apparaissent avec de nouvelles terminologies : communication engagée, communication responsable, éco-communication, socialtech…
A l’origine, il y a la loi ou plutôt les lois obligeant les entreprises à faire état de leurs mesures sociales et environnementales. La loi NRE en 2001, la loi Grenelle 1 et 2 en 2009 et 2010, la loi sur la transition écologique en 2015 et la loi Pacte en 2019. L’article 1833 de la loi Pacte indique que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». La RSE a été la première étape de cette mutation.
Les citoyens attendent plus des marques
Mais cette révolution en marche est essentiellement due à l’évolution des attentes des consommateurs citoyens. Plus que jamais, les évolutions des mœurs et les prises de positions sociétales ont un impact sur nos actes, sur ce que nous regardons. Mais surtout sur ce que nous achetons. D’après l’étude Edelman réalisée en 2020, les français sont, 50 % en 2017, 65 % en 2018 et 70 % en 2019 à choisir, changer, éviter ou boycotter une marque selon ses prises de positions sociétales.
Alors que notre société connait une succession de crises, financière, sociale, hier sanitaire, demain climatique, elle est aussi confrontée à une crise de confiance des consommateurs et des citoyens pour nos institutions, nos élus, nos entreprises, nos marques. La fonction Communication ne pouvait pas rester à l’écart de tous ces enjeux.
Les dirigeants d’entreprises ont compris que la marque de demain sera celle qui donnera un sens à ce qu’elle est et qui génèrera de la bienveillance. La marque devient porteuse de valeur sociétale parce que les citoyens veulent plus des marques. La finalité du marketing n’est plus uniquement de nous faire consommer, mais également de véhiculer des valeurs et de prendre part à des engagements.
Il y a là une prise de conscience que notre société de consommation peut évoluer vers une société plus responsable et plus soucieuse de son environnement.
De nouveaux modèles d’entreprises apparaissent
A l’instar de Patagonia ou Benetton, véritables précurseurs de cette approche sociétale de la marque, de nouvelles entreprises ont construit leur offre à partir de ce nouveau paradigme. La marque devient la réponse à des attentes sociétales. A titre d’exemples, Veja : matières écologiques, respect du droit des travailleurs, insertion sociale. Ou encore les Cafés Joyeux : inclusion des personnes en situation de handicap.
J’ai recensé plus de 450 nouvelles entreprises se créant non pas sur un concept produit mais sur un engagement permettant le développement de concepts produits ou services. Et tous les secteurs sont concernés : les moteurs de recherche avec Ecosia, l’énergie avec Enercoop et le toulousain Ilek, la banque avec La Nef, la mode bien sûr, la cosmétique, l’alimentaire, les réparations d’électroménager à domicile avec Murphy, etc…
Et les marques leaders, comment passent-elles ce cap ?
L’étude Love Brands 2022 de Talkwalker révèle que les 50 marques les plus aimées en 2022 sont des leaders en matière de durabilité environnementale, sociale et économique, qui contribuent à « changer le monde ». Toutes les « Love Brands » communiquent sur leurs efforts d’impact positif, et ce autour de 3 piliers :
Les marques cherchent à participer à l’amélioration de la vie des individus. C’est en cela que réside leur nouvelle quête. Ce n’est pas de la philanthropie, c’est devenu la nouvelle façon de faire du profit.
Une évidence, les marques les plus aimées sont celles qui sont proches de leurs consommateurs et répondent à leurs attentes.
Pour devenir un acteur du changement et créer un impact positif il faut redéfinir la stratégie de marque autour de fortes valeurs. Des expériences et messages ultra personnalisés, mais surtout hautement aspirationnels, assis sur les valeurs fortes de la marque, sont désormais attendues pour des campagnes marketing à succès. Pour réussir, les marques ne doivent plus seulement s’adapter aux attentes en termes d’expérience et d’usage, elles doivent de plus en plus être en phase avec les aspirations, les valeurs qui comptent pour les consommateurs.
Des initiatives fortes se mettent en place et la majorité des marques ont intégré cette démarche :
Mais une fois qu’une marque a convaincu un consommateur d’acheter son produit en utilisant une cause sociétale, il faut arriver à conserver cette confiance sur la durée au risque de se détourner très rapidement de la marque. Et c’est ça le principal problème.
Mais est- ce que toutes les marques ont intégré cette orientation ?
« Il nous infecte, il est polluant, il met en péril ce qui permet de résoudre nombre de problèmes dans le monde. De plus, il menace de détruire encore plus la confiance en notre industrie, qui n’en a déjà pas beaucoup. »
Ce 19 juin 2019, Alan Jope, PDG d’Unilever, cloue au pilori le « woke-washing » devant l’industrie mondiale de la publicité venue participer aux Cannes Lions. Un mois plus tard, dans les colonnes du Guardian, ce même Alan Jope annonce un plan de développement durable pour 400 marques et… la suppression de celles qui ne pourront pas se transformer. Sur la sellette, des mastodontes tels que les glaces Magnum.
A vouloir à tout prix se positionner en marque engagée les marques risquent de dériver vers ce que l’on appelle le brand-washing, le purpose-washing ou woke-washing. On parle de woke washing quand une entreprise communique son engagement contre différentes injustices sociales alors que ses actions en interne s’opposent ou ne suivent pas les idées avancées.
Le danger est que le consommateur pense que les causes sociétales proposées par les marques ne soient que des artifices marketing à des fins de vendre plus à l’instar de Kellogs, Doritos ou Mark&Spenser qui proposent des produits LGTB… ou Coca-Cola qui lance une campagne RP expliquant le lancement d’une bouteille fabriquée à partir de déchets plastiques marins omettant de dire que seuls 300 exemplaires avaient été fabriqués.
Que dire du McHappy Day en Argentine, où le géant de la malbouffe McDo reverse les recettes de ses Big Mac aux enfants atteints de cancer ? Opération récupérée sans sourciller par Burger King, qui invite à aller chez Ronald ce jour-là.
Des exemples de la sorte il en existe par milliers.
L’article d’Audrey Millet démontre bien que la récupération mercantile de ces causes fragilise les luttes écologiques, féministes, LGTB.
Au niveau de la loi, il n’existe pas de réelles interdictions à pratiquer le woke washing (ainsi que tous les autres types de washing : green washing, happy washing…). Une entreprise peut donc user d’une communication mensongère sans avoir à craindre une possible condamnation.
Toutefois, le plus grand risque pour l’entreprise qui pratique le purpose washing est la réputation que cette pratique peut lui apporter. Les avis négatifs sur les réseaux sociaux deviennent un véritable contre-pouvoir sans parler des ONG et associations de défense des consommateurs vigilents comme ce fut le cas pour le lancement de la collection « conscious » d’H&M retoquée par l’Autorité norvégienne de la consommation.
C’est le cas également de la société Bigard, grand nom du monde de l’agro-alimentaire, qui est accusée de tromper ses consommateurs. Alors que depuis quelques années l’entreprise opte pour des communications dans lesquelles les petits producteurs sont placés au cœur des préoccupations de la marque, la réalité serait bien différente. Avec des rémunérations plus que basses, des déterritorialisations à tour de bras et des fermes d’élevage intensif, la marque est une belle preuve de greenwashing français. L’exemple de greenwashing de Bigard est tellement frappant que le groupe est en tête de liste pour remporter le Prix Pinocchio, un prix parodique récompensant les entreprises qui mentent dans leurs discours et se servent du greenwashing pour redorer leur blason.
Un citoyen qui reste cependant contradictoire
Qui se souvient du Diesel Gate qui aurait dû affaiblir Volkswagen ? Lactalis ne se porte-t-il pas très bien en 2023 malgré les scandales alimentaires ? Avons-nous arrêté de consommer du Findus ? Cette tendance durable, équitable, sociale, environnementale, connaît une résistance. Des marques comme Primark ou Shein sont devenus les symboles d’une société de surconsommation pas encore tout à fait abolie. Et l’on assiste à de vraies joutes portées par un mix de générations Y et Z (les 18/35 ans) pris entre deux modèles de société. Le nouveau consommateur a des attentes complexes et contradictoires allant du « moi » au « nous » pas toujours conciliable !
Cette vidéo réalisée lors de l’ouverture du Primark inaugurée par le maire de Toulouse symbolise bien cette France à deux visages.
Dernier exemple tout récent : Victoria’s Secret, leader mondial de la lingerie féminine. Le défilé de la collection 2023 s’est présenté sous un nouveau format, plus inclusif, et porté par un idéal de beauté plus ancré dans la réalité. Exit les anges longilignes et sculptées, place à un collectif de mannequins issues de divers horizons sur la tendance lancée il y a déjà 10 ans par Dove sur « la body positive ».
Problème : le chiffre d’affaires ne suit pas et le Groupe vient d’annoncer un retour à ses fondamentaux. Les anges sont de retour et « la body positive » est déjà oubliée.
Conclusion
D’après une étude publiée par Edelman Intelligence (cabinet d’études de l’agence Elan Edelman), plus de 60% des français reprochent aux marques d’utiliser les causes sociétales comme outil marketing pour vendre plus et se détournent de celles qu’ils repèrent MAIS dans une autre enquête menée pour The Good Company, on apprend que 49 % des personnes interrogées estiment que le goodvertising… est du goodwashing. Et 83 % trouvent que c’est une bonne chose qu’elles le fassent. C’est toute l’ambivalence de cette période qui n’est autre qu’une phase de transition des marques, des entreprises et de nos modes de vie.
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Jean-Charles Espy – Enseignant en Master Communication à l’Université Toulouse Capitole, Toulouse School of Management, Infocom UT3 et gérant de Brand Consulting Team.
A votre disposition pour : Audit et Conseil, AMO, Formations Intra-Entreprise, Conférences.
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