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1. L’origine de la consommation de masse

Dans l’Amérique des années 20, ce qui effrayait les financiers et les industriels, c’était le danger de la surproduction : la peur que les gens un jour aient suffisamment de biens et qu’ils arrêtent d’acheter. Jusqu’alors, la majorité des produits étaient vendus sur la base des besoins.

Pour une grande partie des travailleurs américains, les produits se présentaient toujours comme des nécessités. Les chaussures, les chemises et même les voitures faisaient l’objet d’une promotion fonctionnelle pour leur durabilité.

Le but de la publicité était juste d’exposer les qualités pratiques du produit. Les grandes firmes américaines comprirent qu’il leur fallait transformer la façon dont les américains pensaient les produits.

Partant de ce constat, un banquier, Paul Mazer, et l’inventeur des relations publiques, Edward Bernays, proposèrent une nouvelle approche des produits et services : faire que les consommateurs s’engagent personnellement et émotionnellement dans leur achat. Le principe de cette théorie est de susciter une connexion affective avec un produit ou un service. Le message est clair : « vous vous sentirez mieux avec de nouveaux produits ».

En somme, un consommateur va au-delà de l’achat d’usage pour entrer dans une connexion émotionnelle avec le produit ou service. Comment ? En stimulant les désirs intérieurs de la population via des techniques psychologiques qui gouvernent les sentiments inconscients, en les saturant de marchandises, en puisant dans leurs désirs ou leurs peurs les plus profondes et en faisant émerger le Moi du consommateur.

Non seulement cela fait tourner l’économie, mais cela donne aussi une population heureuse et docile. On est là dans les théories de Walter Lippmann dans Public Opinion (1922) et sa fameuse « fabrique du consentement » qui explique que « le mécanisme élémentaire de l’esprit des masses est l’irrationalité et l’animalité ».

Le Président Hoover fut le premier politicien à théoriser ces concepts. Juste après son élection, il proclama à un groupe de publicitaires : « votre métier est de créer du désir et de transformer les gens en automates du bonheur, en machines qui deviendront la clé du progrès économique ».

Traduction, tant que vous pouvez stimuler le Moi irrationnel du peuple, les dirigeants financiers, économiques et politiques peuvent continuer à faire ce qu’ils veulent.

La société de consommation était née.

Mais la méthode miracle fut stoppée le 29 octobre 1929 par le plus grand crash boursier de l’histoire des Etats-Unis. Confrontés au chômage et à la récession, des millions de travailleurs américains cessèrent d’acheter ce dont ils n’avaient pas besoin. Le boom de la consommation voulu par Bernays disparut alors… provisoirement. L’ironie du sort veut que la plus grande opération commerciale actuelle prenne le nom du jour du plus grand crash boursier : le Black Friday.

2. L’économie de marché comme curseur de développement

Très vite, la France a suivi les traces des théories de Bernays. Nous sommes à l’instar de la quasi-totalité des pays occidentaux (mais aussi aujourd’hui la Russie, la Chine…) rentrés depuis plus de 70 ans dans ce que nous appelons l’économie de marché, système économique capitaliste qui repose principalement sur la loi de l’offre et de la demande pour réguler les activités économiques.

Selon cette logique, il n’y a pas de consommation sans rêve, ni de rêve sans liberté et démocratie.

Le marketing et la publicité sont là pour pousser leurs clientèles à acheter au-delà de leurs besoins. Toutes les mesures sont prises pour que le désir de consommer et les plaisirs éphémères l’emportent.

L’IPC (l’indice des prix à la consommation INSEE) est scruté chaque mois avec appréhension. Il est utilisé pour estimer l’évolution des prix des biens et des services et du pouvoir d’achat des ménages mais aussi pour la réévaluation des retraites, des pensions alimentaires, des rentes viagères… Il sert aussi pour indexer le SMIC et l’indice de référencement des loyers.

En somme, notre système économique entier repose sur cet indice. Si l’on arrêtait de consommer, tout notre système s’effondrerait, engendrant crash boursier, chômage, etc…

Notre société vit un véritable dilemme. Les mouvements anti-consommation, antipub, pro-déflation, pro-consommation raisonnée, ont raison lorsqu’ils annoncent que nous ne pouvons pas continuer à polluer la planète. Mais comment casser ce cercle infernal sans provoquer de crise majeure pouvant engendrer des réactions violentes ?

3. Les marques événementielles au service de la consommation

Vous l’avez compris, notre société de consommation fonctionne sur la création de besoins dont nous n’avons pas besoin. Et pour générer ces désirs d’achat, encore une fois, les Etats-Unis ont servi de modèle en inventant des pics de consommation.

En 2017, ces pics associés à des marques commerciales représentent en France près de 9% des 1186 milliards de la consommation des foyers français (source INSEE 2016). Ces pics correspondent souvent à des achats additionnels (et donc non nécessaires) plutôt qu’à des achats de la vie courante : alimentation, logement, eau, gaz, électricité, santé, transport, scolarité, automobile, carburant…

Ce sont donc ces pics qui permettent la croissance de l’économie grâce à des achats d’impulsion. Le rôle même de ces marques commerciales est de susciter des pulsions d’achat en y associant souvent la notion de cadeau, de gourmandise, d’évasion…

Analysons ces pics par puissance commerciale répartis tout au long de l’année :

Lancement de la marque à vocation commerciale  

Période

Date de développement  en  France CA estimé 2016 % des dépenses annuelles des foyers
Noël 12 1950 67 milliards 5,6 %
Soldes (été + hiver) 01+07 1906 22 milliards 1,8 %
Black Friday 11 2014 5 milliards 0,4 %
Saint Valentin 02 1995 4 milliards 0,3 %
Fête des mères 05 1942 4 milliards 0,3 %
Fête des pères 06 1952 2,5 milliards 0,2 %
Pâques 04 Années 60 0,8 milliards 0,07%
Halloween 10 1997 0,3 milliards 0,03%
Chandeleur 02 1995 0,3 milliards 0,03%
Epiphanie 01 1970 0,3 milliards 0,03%
Total     116,4 milliards 8,8%

3.1 Les marques événementielles religieuses

Les origines de ces rendez-vous mixent religion et business. Coca-Cola n’a pas inventé le Père Noël, mais il a été le premier en 1931 à en faire le personnage central des fêtes de Noël. C’est ce que l’on appellerait aujourd’hui un énorme buzz qui a conquis le monde entier et la France des années post-guerre.

Aujourd’hui, Noël est la plus forte marque commerciale au monde. Chaque petit français reçoit en moyenne 8,4 cadeaux et plus de 700 millions de cadeaux sont déposés sous les quelques 7 millions de sapins décorés.

A noter : les 47% de français qui, l’an dernier, ont offert des cadeaux d’occasion pour Noël, suivent ainsi la tendance de l’économie collaborative.

ll en va de même pour Pâques, la Chandeleur, l’épiphanie ou la Saint Valentin. Toutes ces marques ont pour origine la religion. Dans la religion catholique, la Chandeleur est le jour de la présentation de Jésus au temple, 40 jours après Noël. Pâques célèbre la résurrection du Christ, l’épiphanie l’arrivée des rois mages. La Saint Valentin quant à elle est due à Claude II, l’empereur romain. Celui-ci fit annuler toutes les fiançailles de l’empire pour éviter que ses soldats soient tentés de rester avec leur fiancée plutôt que de partir à la guerre. Furieux, un prêtre catholique nommé Valentin décida de marier en secret les amoureux. Il fut découvert et envoyé en prison jusqu’à sa mort.

Mais ce pauvre Valentin ne pouvait pas imaginer qu’en 2017 son nom serait associé à une fête mercantile faisant le bonheur des restaurants, bijoutiers, parfumeurs, compagnies d’aviation, esthéticiennes, fleuristes, hôteliers…

3.2 Les marques événementielles frenchy

Certaines de ces fêtes ont été inventées par nous français. Par exemple, la première fête des mères en 1918 invitait les femmes, après avoir travaillé pendant la guerre, à « rentrer chez elles, à revenir sous la coupe des hommes, et à faire des enfants ».

Ce ne sont donc pas le Maréchal Pétain et le régime de Vichy qui ont inventé cette journée.

En revanche, dès 1941, il en fait une célébration quasi-liturgique, la mère étant mise sur un piédestal. Et c’est à partir de cette date qu’apparaît la notion de cadeau.

Les soldes, grand rituel annuel de notre société d’hyperconsommation, ont été imaginées à la fin du XIXème siècle. Leur créateur est Simon Mannoury, fondateur du Bon Marché, devenu le Printemps en 1865. Mais les premières lois qui encadrent cette offre commerciale datent de 1906.

Aujourd’hui, les soldes souffrent. Si 3/4 des Français affirment qu’ils font toujours les soldes, la fréquentation des magasins à cette période est en baisse. Tout comme les budgets. Pour les soldes d’été 2017, un sondage Toluna pour LSA estime ainsi que les intentionnistes y ont consacré 10,9% de moins qu’il y a un an soit plus de 2 millions de personnes. Ce rendez-vous autrefois immanquable a perdu de sa superbe. Toute l’année, on trouve sur Internet des promotions déclenchées pour tous les prétextes. Le digital n’est d’ailleurs pas seul en cause. En boutique, les soldes flottants puis, aujourd’hui, les pré-soldes, ont achevé d’habituer à des réductions permanentes. Seul l’e-commerce reste un secteur qui se porte bien. En effet, pendant les soldes, ils réalisent, en moyenne, 30% de leur chiffre d’affaire annuel.

3.3 Le phénomène Black Friday américain et la Journée des Célibataires chinoise

Difficile de terminer ce tour d’horizon des marques événementielles sans évoquer les Etats-Unis et la Chine. Les USA, outre le Père Noël, ont réussi à délocaliser en France Halloween et depuis maintenant 3ans, le Black Friday. Halloween n’a jamais vraiment pris en France commercialement bien qu’il représente un pic de 300 millions d’achats.

Le phénomène Black Friday a traversé les frontières des États-Unis ces dernières années pour se faire adopter dans plusieurs pays. Y compris en France où il a été importé par les géants du web dès 2010 (par Amazon et Apple).

Les soldes du vendredi noir se déroulaient donc principalement sur Internet. Les premières enseignes ont commencé à le proposer dans leurs magasins physiques en 2014. Le Black Friday représente aux USA plus de 100 milliards de dollars.

Les chiffres en France, pour l’édition 2017, font état d’un phénomène qui « continue de prendre de l’ampleur ». Ainsi, 845 millions d’euros devraient être dépensés sur les plateformes de commerce en ligne durant ces journées. Soit +15% par rapport à l’année 2016 ! Dans les magasins, les consommateurs devraient débourser 4,5 milliards d’euros.

Mais impossible de parler de marque événementielle sans évoquer « le Jour des Célibataires ». Cette fête commerciale se tient chaque année le 11 novembre. Elle a été inventée il y a 7 ans par le leader chinois du commerce Alibaba.

L’événement est devenu le plus grand événement marketing du monde et repousse les records de vente en ligne chaque année. Les chiffres illustrent parfaitement l’augmentation du pouvoir d’achat des Chinois.

La plateforme de vente en ligne Tmall, devrait à elle seule enregistrer entre 17 et 20 milliards de dollars (entre 15,6 et 18,3 milliards d’euros) de transactions cette année. Pour tenir cette cadence, une armée de 2,7 millions de livreurs ont distribué 1,05 milliard de colis, la plupart le jour-même.

Aujourd’hui, le géant du commerce et du paiement en ligne revendique 439 millions d’utilisateurs actifs, soit les deux tiers des 720 millions d’internautes chinois. L’objectif de Jack Ma, fondateur de la première plateforme commerciale au monde (en concurrence directe avec Amazon), est d’atteindre les 4 milliards de clients d’ici 5 ans.

Notre société de consommation est loin d’être morte !

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